Pieterjan Van Leemputten

BlackBerry, ce géant redevenu un nain

BlackBerry ne va plus concevoir elle-même des smartphones. Le fabricant autrefois dominant s’est rendu compte trop tard que le marché attendait autre chose. Un aveuglément dont souffrent du reste aussi Nokia, Microsoft, Intel, voire Google.

Au niveau stratégique, c’est une bonne chose pour BlackBerry que de sous-traiter dorénavant le développement de son hardware. Il ne s’agit certes pas d’une sortie glorieuse, mais il y avait peu de chances pour que la marque vende encore suffisamment d’appareils pour conserver une division hardware rentable.

BlackBerry a en fait connu le même problème que plusieurs autres géants technologiques. Une domination du marché, qui est si bénéfique pour l’entreprise que ses concurrentes tentent sereinement de concevoir autre chose. C’est que le marché ne change guère, sauf qu’un autre, un nouveau, s’ouvre tout simplement.

Autres temps, autres noms

Mi-2007, l’année où est sorti l’iPhone, Samsung et Apple n’étaient pas des marques très connues sur le marché mobile. Windows Mobile, Palm, RIM (l’ex-BlackBerry) et Symbian (Nokia) y étaient par contre bien présentes avec des appareils qui avaient comme principale particularité qu’ils permettaient l’e-mailing. Les médias sociaux ne représentaient à l’époque pas grand-chose, encore moins au niveau mobile, et pour réaliser des vidéos, l’on recourait encore au caméscope.

Apple et Google n’ont pas tellement empiété sur les plates-bandes de BlackBerry et de Nokia. Elles ont simplement élargi l’aire de jeu. Alors que les smartphones étaient quasi exclusivement réservés aux hommes/femmes d’affaires et aux politiciens au cours de la première moitié des années 2000, ils sont devenus intéressants aussi pour le consommateur moyen à partir de 2007-2008.

Ambiance à la Titanic

Cette tendance fut initialement avantageuse pour BlackBerry. Entre fin 2007 et début 2009, la part de marché du géant canadien grimpa en effet de dix à vingt pour cent. En outre, les ventes progressèrent de 122 millions (2007) à 172 millions d’appareils (2009). L’on peut s’imaginer qu’au siège central de l’entreprise, il régnait une ambiance à la Titanic, du moins jusqu’avant l’apparition de l’iceberg.

Statistic: Number of smartphones sold to end users worldwide from 2007 to 2015 (in million units) | Statista
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La question est de savoir quand BlackBerry a vraiment aperçu l’iceberg. Si l’on considère la part de marché de la marque, l’on s’aperçoit qu’elle a régressé de manière spectaculaire à partir de 2010. Mais si l’on prend en compte les ventes d’appareils, l’on observe que l’entreprise n’en avait jamais vendus plus que fin 2010. Ce n’est que début 2012 que les choses se gâtèrent avec un recul de 13 à 9,7 millions d’appareils. Cette année-là, 680 millions de smartphones en tout ont été vendus au niveau mondial, soit quatre fois plus que quand BlackBerry dominait le marché.

En résumé, Blackberry ne s’était pas trop mal comportée jusqu’à ces dernières années. Mais le problème, c’est que d’autres fabricants de smartphones ont fait simplement beaucoup mieux.

Or BlackBerry n’est pas un cas unique. Cela fait longtemps déjà qu’Intel représente la norme pour les CPU qui deviennent chaque année plus compacts et rapides et qui sont indispensables pour le marché du PC. Mais l’entreprise n’a pas vu à temps la percée des tablettes et autres smartphones. Intel domine par conséquent le marché du PC, mais le fait est que le PC n’est plus l’appareil dominant.

Il en va de même pour Nokia, qui a continué de faire confiance à son système Symbian à un moment où Android et iOS devenaient les nouvelles vedettes.

De l’argent pour se permettre d’échouer

Les deux exemples les plus intéressants sont peut-être encore Google et Microsoft. Microsoft a bien tenté sa chance, mais sans jamais vraiment parvenir à s’imposer dans le secteur mobile mature. Heureusement pour l’entreprise, elle put compter sur suffisamment de revenus d’autres segments pour se tirer d’affaire. Elle a ainsi pu se permettre de commettre des erreurs pour en tirer des leçons.

Google connaît elle aussi ce genre de parcours et n’a pas réussi à concurrencer Facebook sur le plan des médias sociaux. Mais ici encore, ses rentrées n’émanent plus uniquement du moteur de recherche, ce qui fait que l’entreprise peut se permettre à présent quelques fautes stratégiques en attendant la prochaine vache à lait.

Nous enfonçons certes une porte ouverte en écrivant que la technologie évolue rapidement. Mais BlackBerry représente l’exemple type d’une entreprise qui s’est rendue compte trop tard que le marché était en train de changer et elle donc tombée de son piédestal. Il s’agit là de ce qu’on pourrait appeler un aveuglément sélectif qui pourrait arriver à n’importe quelle grande firme technologique.

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