ICT Woman of the Year: ” La diversité est un défi à relever tant par les femmes que les hommes “

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Pieterjan Van Leemputten

D’enseignante dans l’enseignement artistique à chief enterprise officer d’Orange Belgium en passant par 30 années chez Xerox : le parcours d’Ingrid Gonnissen surprend. Mais parvient aussi à exploiter pleinement chaque situation.

Ingrid Gonnissen rêvait d’être enseignante dans l’enseignement artistique et tel fut le cas. En parallèle, elle gérait une petite société de pub et de communication (Cream). Pourtant, elle décide un jour de remettre en question son avenir et se lance sur une nouvelle voie. Elle dirige alors le recrutement chez Hyphen Consulting International, un groupe spécialisé dans le headhunting et la télé-publicité. Quelques années plus tard, l’entreprise tombe en faillite et Ingrid s’en remet à son réseau. ” Xerox était alors l’un de mes principaux clients et recherchait un sales manager. Deux semaines plus tard, je me mettais au travail. ”

Pourtant, Xerox se montre réticente à confier à une femme une fonction de direction dans la vente et Ingrid se propose de commencer plus bas dans l’échelle. Retour à une fonction d’account management, avec un salaire inférieur à condition de pouvoir faire ses preuves pour alors être promue. ” Huit mois plus tard, je devenais l’une des premières femmes à un poste de direction dans l’entreprise. J’ai reçu une cravate comme cadeau de bienvenue… Voilà qui en dit long. ”

Les choses se sont-elles passées facilement en tant que l’une des rares femmes dirigeantes au début des années 1990 ?

Il y avait alors des hommes qui disaient littéralement ‘Il faudra me passer sur le corps’ avant qu’une femme n’occupe ces fonctions. Mais je suis parvenue à prouver qu’une femme pouvait aussi bien remplir cette mission qu’un homme.

C’est alors que ma carrière a vraiment débuté et que je me suis vu confier une autre mission après quelques années. Pas toujours des choses évidentes, mais j’y ai toujours pris du plaisir et atteint mes objectifs. Si une entreprise a besoin de vous, acceptez le défi et faites de votre mieux.

Gonnissen travaillera au total durant 30 ans chez Xerox et dirigera la filiale belge à partir de 2011. Mais l’entreprise se restructure ensuite avant d’être scindée et de voir la filiale belge dépendre de l’organisation Benelux. Le moment que choisit Gonnissen pour s’en aller.

Que fait-on lorsqu’on a dépassé la cinquantaine et que sa fonction disparaît ?

Surtout ne pas se renfermer dans son coin pour pleurer. J’ai activé tous mes contacts de niveau C en leur demandant conseil. Tant pour l’orientation que le secteur. J’ai alors reçu beaucoup de réponses positives et de très précieux conseils. J’ai été confortée dans ma volonté de réussir. C’était une période intense, mais je ne me suis jamais arrêtée. C’est ainsi que j’ai rencontré notamment Dominique Leroy (CEO de Proximus), Martine Tempels (senior vice president de Telenet Business) et Koen Van Gerven (CEO de bpost). J’ai aussi établi une liste de ce que je voulais et ne voulais pas : mon ADN est le B2B et ma volonté était de travailler dans un secteur offrant du potentiel. Et le telco m’attirait vu ses perspectives, notamment en IoT.

Que fait-on lorsqu’on a dépassé la cinquantaine et que sa fonction disparaît ? Surtout ne pas se renfermer dans son coin pour pleurer.

Bref, les patrons de Proximus et Telenet vous ont indirectement envoyée chez Orange ?

Oh là, c’étaient surtout des discussions franches et constructives avec des dirigeants pour lesquels j’ai beaucoup de respect, ce qui m’a ouvert des pistes de réflexion. C’est alors qu’un poste s’est ouvert chez Orange et que j’ai été contactée.

Le passage de Xerox à Orange a-t-il été un saut important ?

J’ai fait du B2B toute ma carrière et je me suis donc sentie comme un poisson dans l’eau. Reste qu’il s’agit évidemment d’un autre secteur. Mais peu importe ce que l’on vend, fournit ou supporte, ce qui compte c’est de comprendre le client, de le conseiller et de le mettre en relation avec les bonnes personnes. Tant pour bâtir son réseau de relations que pour disposer de spécialistes. Savoir ce dont le client a besoin et lui offrir du sur-mesure, telle est la devise d’Orange. Nous sommes dans un people business.

Quel a été voitre défi majeur chez Orange ?

Le défi majeur est le même que celui auquel est confronté tout le secteur des télécoms. Il s’agit d’un monde très régulé, pays par pays, alors que nous sommes précisément actifs à l’échelle internationale. Le challenge consiste à suivre la réglementation et de collaborer dans le même temps avec des concurrents. Ainsi, vous louez des lignes d’un concurrent pour desservir un client. Entre-temps, vous collaborez à l’étranger avec différents opérateurs pour proposer un service cohérent à l’international avec les mêmes SLA.

Un autre élément est que le politique doit être informé de ce que nous faisons et voulons faire. Nous sommes opposés au duopole et nous positionnons comme challenger sur le marché professionnel des télécoms. Nous y occupons une position enviable, mais voulons continuer à croître en B2B et en B2C. Pour ce faire, il faut se différencier de la concurrence afin que les clients comprennent que vous êtes unique.

Au début de votre carrière, certains n’appréciaient pas qu’une femme occupe une fonction dirigeante. Cela a-t-il encore joué par la suite dans d’autres fonctions ?

Plus on monte dans la hiérarchie, plus le nombre de fonctions se réduit et donc plus la compétition est importante tant entre hommes qu’entre hommes et femmes. Mais je n’ai jamais demandé de fonction spécifique. En faisant bien son travail et en acceptant de nouvelles missions, les gens remarquent votre potentiel. Si vous réussissez dans plusieurs fonctions, on se rend aussi compte que vous pouvez travailler de manière transversale et prendre d’autres responsabilités. A un certain moment, j’ai dirigé le service technique chez Xerox. Or cette fonction n’est en principe jamais confiée à une personne qui vient du business ou de la vente.

Veillez à choisir un travail et un environnement propice aux femmes ou optez pour une autre entreprise.

Et avez-vous apprécié ou précisément pas ?

Ce fut une courte période, mais j’ai vraiment apprécié de travailler avec des techniciens. Et grâce à mon expérience avec les clients, je suis parvenue à mettre l’accent précisément sur le client. Mais je suis toujours restée une femme. Ce n’est pas parce que l’on occupe une fonction qui était précédemment exercée par des hommes qu’il faut se comporter autrement. Jeune, âgé, homme, femme, c’est pareil. Tant que vous connaissez vos dossiers, que vous osez entreprendre, beaucoup écouter et travailler de manière transversale. Mis à part mon premier emploi chez Xerox, je n’ai jamais ressentie d’opposition, et même à l’époque, j’ai osé relever les défis en expliquant : ‘Je fais ce boulot, mais donnez-moi la chance d’évoluer.’

Quel serait le conseil que vous donneriez aux jeunes femmes pour leur carrière ?

Ne reniez pas votre personnalité. Vous êtes qui vous êtes et ces forces constituent votre ADN. Vous êtes une femme, donc n’hésitez pas à vous habiller comme vous le voulez. Restez fidèle à votre ADN, à ce que vous aimez faire, que ce soit gérer des projets ou travailler avec des hommes, et veillez à ce que cela fasse partie de votre travail.

Mon deuxième conseil : osez accepter une mission dont vous ne savez pas à l’avance que vous en êtes capable. Un boulot qui peut vous enrichir. Dans mon cas, il s’agissait de la vente de projets de headhunting à un CEO ou un directeur RH à 24 ans, de la gestion d’un canal de vente indirect ou de la direction d’un service technique. Je n’y connaissais rien. De même, les conseils d’administration étaient nouveaux pour moi. Osez relever ces défis. Faites-vous accompagner et informez-vous auprès de personnes qui possèdent certaines compétences ou des compétences complémentaires. Vous devez oser !

Y a-t-il eu des fonctions que vous n’aimiez pas ?

Il n’y a pas un seul emploi que je n’ai pas aimé. Cela dit, j’ai accepté des jobs que je ne voulais pas au départ. Mais lorsque j’accepte une mission, je veille à ce qu’elle soit agréable et représente un défi que je veux et peux relever. Chaque métier a des facettes moins agréables, mais il faut limiter celles-ci. Veillez à décrire vous-même votre fonction et à atteindre vos objectifs.

Vous êtes connue pour votre réseau. Quelle est l’importance d’un bon réseau ?

C’est extrêmement important, tant en interne qu’à l’extérieur. Souvent, je constate que les gens ne font pas assez de stakeholder management. Elles oublient que les équipes externes peuvent avoir un impact sur leurs propres décisions. Si vous travaillez sur un projet qui implique plusieurs personnes de profils différents, veillez à faire votre présentation à chacun personnellement afin d’avoir leur feedback. Souvent, vous verrez alors les choses sous leur propre angle et pourrez alors avoir plus facilement leur soutien.

Et vers l’extérieur ?

Avec mes équipes, je fais environ 120 visites par an auprès de partenaires et de clients finaux. C’est fondamental. Cela permet d’être sur le terrain, d’apprendre en écoutant le client et de sentir la concurrence, de voir comment vos collaborateurs se comportent avec les clients et ce qui peut être amélioré. En outre, on en retire souvent des idées que l’on peut ensuite exploiter.

Est-ce également le cas dans vos contacts personnels ?

Certainement. Les CIO et CEO ont besoin d’interlocuteurs de qualité, de personnes du même niveau pour aborder leur stratégie en face à face. Et si un problème survient lors de la collaboration, il est nettement plus facile d’appeler quelqu’un que l’on connaît déjà. Cela ne va pas tout résoudre, mais cela aide.

L’ICT reste un bastion d’hommes. Comment attirer davantage de femmes ?

Il y a déjà pénurie d’hommes. On assiste à une véritable guerre des talents où certains concurrents ne jouent pas le jeu. Mais il ne faut pas forcément des spécialistes ou des diplômés ICT. Je suis intimement convaincue que des personnes provenant du business peuvent apporter une valeur ajoutée dans la mesure où elles savent comment le métier fonctionne.

Au niveau du conseil d’administration d’ailleurs, Orange n’a pas à rougir. Ainsi, le comité exécutif compte 33 % de femmes et 32 % de femmes qui dépendent directement de membres de ce comité exécutif.

Est-ce là également une raison de votre choix pour Orange ?

Il s’agissait d’un choix délibéré sachant qu’Orange considère la diversité comme importante. Homme ou femme, peu importe. Je n’ai jamais dû me justifier du fait que j’étais une femme et c’est important. Veillez à choisir un travail et un environnement propice aux femmes ou optez pour une autre entreprise.

Comment sélectionnez-vous ces entreprises ?

En posant des questions. Dans le choix d’un employeur, il ne faut pas se contenter de l’entreprise ou de ses produits, mais tout autant de l’ambiance de travail. Regardez aussi leur site Web, leur stratégie. Qui sont les acteurs clés dans l’entreprise ? Comment parlent-ils de leur politique RH ? Si rien n’est dit sur la diversité, n’allez pas plus loin. Lors de mes premiers contacts avec Orange, j’ai notamment rencontré le responsable RH et des membres du comité de direction, dont quelques femmes. J’ai constaté qu’elles se sentaient bien et étaient appréciées, ce qui m’a convaincue qu’il s’agissait d’un secteur qui me plairait et qu’Orange serait un bon choix.

Entendez-vous y jouer un rôle de modèle ?

J’ai longtemps hésité avant d’accepter cette nomination car je ne voulais pas forcément être mis à l’avant-plan en tant que personne. Mais j’ai finalement accepté car j’ai constaté que tout le monde n’avait pas la chance de pouvoir travailler pour une telle société. Il faut donc d’autres modèles pour inciter les jeunes femmes et attirer l’attention des hommes. C’est possible et pas tellement difficile ! Venez nous trouver si vous avez des questions. Même pour le coaching de femmes et aussi d’hommes. Nous avons besoin de talents dans notre secteur et si je peux aider des femmes à y parvenir, tant mieux.

Osez accepter une mission dont vous ne savez pas que vous en êtes capable

Les hommes sont donc également les bienvenus ?

Nous devrions également permettre aux hommes d’expliquer pourquoi les femmes sont aussi nécessaires et comment y parvenir. Souvent, j’entends des avis très intéressants lorsque je pose la question. Ils ont une grande responsabilité. Car ce sont surtout des hommes qui occupent des fonctions dirigeantes. Or si rien ne change dans le recrutement, dans l’équilibre travail/vie privée et sur les relations entre personnes, les femmes ne viendront pas et ne resteront certainement pas. Si vous croyez dans la diversité, vous devez agir en conséquence. Car la diversité est une affaire à la fois de femmes et d’hommes.

Ingrid GonnisseN

Chief Enterprise Officer d’Orange (2016 – aujourd’hui)

Country & Large enterprise general manager Belux (2011 – 2016)

Elle a commencé sa carrière comme account manager pour devenir directrice générale

Saviez-vous-que…

– Ingrid a donné des cours d’art à des enfants de 12 à 16 ans

– Elle a été durant quelques années propriétaire de sa propre petite société d’externalisation, Cream, spécialisée en médias et publicité.

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