Kasparov: ‘Nous sommes passés de notre plein gré du KGB à Facebook’

Garry Kasparov © BELGAIMAGE
Simon Demeulemeester Journaliste Knack

Lors du salon technologique Web Summit de Lisbonne, la légende du jeu d’échecs Garry Kasparov a donné son avis sur les défis à relever en matière de respect de la vie privée, qui résultent des gigantesques pas technologiques accomplis dans les domaines des données massives (big data) et de l’intelligence artificielle, ainsi que du besoin croissant de cyber- sécurité.

Kasparov voit des contradictions dans nos rapports avec les progrès technologiques: ‘Tout le monde veut en tirer profit, mais on se plaint que des entreprises telles Facebook collectent nos données. Si vous êtes prêt à partager ces données, vous les perdrez. C’est aussi simple que cela. C’est stupide de se plaindre car après tout, ces données, vous les avez librement cédées, non? Vous ne pouvez dès lors pas vous attendre à ce qu’elles soient figées quelque part car elles seront exploitées.’ Et d’ajouter en riant: ‘Nous-mêmes, nous sommes passés de notre plein gré du KGB à Facebook.’

La technologie ne peut être considérée comme intrinsèquement bonne ou mauvaise, selon Kasparov, qui cite l’intelligence artificielle (AI) en guise d’exemple: ‘Un groupuscule pense que l’AI est la solution pour tout, alors que la majorité est pessimiste. Redevenons rationnels. L’AI, ce n’est rien d’autre qu’une technologie, un moyen que l’homme a inventé, tout comme l’électricité précédemment, ou le premier film.’

L’homme face à la machine

Dans les années 90, Kasparov a lui-même à l’une ou l’autre reprise pris part à la fameuse lutte entre l’homme et la machine. En 1996, il a battu Deep Blue, le superordinateur d’IBM, en six parties d’échecs. Un an plus tard, il perdit la deuxième série de six parties. C’était la première fois qu’un champion du monde d’échecs en titre se faisait battre par un ordinateur.

Kasparov y repense posément: ‘Dans des systèmes clos, comme les échecs, les ordinateurs nous domineront toujours. Chaque erreur humaine se paie cash.’

Il n’y a cependant pas de quoi céder à la panique, estime-t-il: ‘Le succès des machines dans ces systèmes fermés ne peut nous inciter à penser que les ordinateurs puissent également être dominateurs dans d’autres domaines. Répondre à une question complexe, réagir à des émotions, à des dynamiques compliquées comme l’altruisme: les machines ne pourront dans ces cas jamais nous aider.’ Selon lui, cela est dû au fait que les machines ne se distinguent que dans la comparaison de possibilités et dans la sélection de l’action la plus évidente en la circonstance. ‘C’est pratique pour le jeu d’échecs car ce genre d’ordinateur peut calculer ultra-rapidement des millions de coups. Mais pour des questions reposant moins sur la logique, comme l’altruisme, l’homme est encore et toujours nettement supérieur.’

Armée de trolls

Kasparov s’occupe de ce thème en tant que Security Ambassador d’Avast, une multinationale tchèque qui produit des logiciels de cyber-sécurité. Ondrej Vlcek, le Chief Technology Officer d’Avast, voit en Kasparov un ambassadeur logique de son entreprise: ‘Pensons à son affrontement avec la machine dans les années 90, et maintenant face aux défis des données massives, notamment sur le plan de la confidentialité, il représente à coup sûr une grande valeur symbolique. Garry lutte depuis longtemps déjà pour la liberté en général et pour la liberté d’expression en particulier.’ Chaque mois, Avast bloque 3,5 millions d’attaques de malware, selon Vlcek: ‘La sécurité en ligne est devenue d’une importance cruciale.’

Voilà qui fait réfléchir aujourd’hui dans la mesure où le pays natal de Kasparov, la Russie, a apparemment pu influencer les élections présidentielles américaines, notamment en recourant à une armée de trolls anonymes. Kasparov est l’un des critiques les plus connus et les plus virulents du régime de Vladimir Poutine et voit un grand danger dans l’utilisation d’armées de trolls en vue de réduire à néant les démocraties. Qui plus est: ‘Nous sommes en train de perdre ce combat.’ Il ne veut cependant pas renoncer à l’anonymat sur internet, précisément parce que cela serait une concession faite à des régimes comme ceux en place en Turquie, en Chine et en Russie.

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