Pieterjan Van Leemputten

Quand le wifi gratuit en Europe sert de paravent à une politique télécom déficiente

Hourra, la Commission européenne entend mettre à disposition le wifi gratuit dans toutes les villes européennes d’ici 2020. Quelle bonne idée, mais en même aussi un exemple d’école d’une politique télécom faite de vaines promesses.

Quand le wifi gratuit en Europe sert de paravent à une politique télécom déficiente

Je suis un fan de l’Europe. Malgré la lenteur de ses décisions, je crois vraiment que sur le plan technologique, nous nous en tirons mieux dans une union qui prend à grande échelle les mesures stratégiques et réglementaires qui s’imposent quant à la neutralité du net, au respect de la vie privée, à la 5G ou à la voiture autonome.

Mais il y a aussi la réalité. Cela fait neuf ans que je m’occupe de télécoms et de technologie, et il y a toujours eu une constante: l’Europe va supprimer les tarifs d’itinérance (roaming). Il y a certes eu des réductions de prix soulignées été après été par d’agréables effets d’annonce. Mais la suppression définitive se fait encore et toujours attendre. Un journaliste écrivait en 2011 déjà que l’Europe ne ferait en 2015 plus de différence entre les appels en Belgique et en Europe. Le dernier ballon d’oxygène se résumait à 90 jours gratuits, avant de se dégonfler. Il y a de la bonne volonté certes, mais une fois de plus, on a le sentiment que les acteurs télécoms au sein de l’UE ont plus d’impact sur la législation que vous et moi.

Il y a de la bonne volonté certes, mais une fois de plus, on a le sentiment que les acteurs télécoms au sein de l’UE ont plus d’impact sur la législation que vous et moi.

Et puis voilà que le président de la Commission, Jean-Pierre Juncker, sort son plan – ou sa promesse (cela fait mieux) – d’équiper du wifi gratuit chaque ville européenne. Nous y opposons-nous? Pas du tout, mais quant à parler d’un bon plan, il faut voir…

Il n’y a rien de plus agréable quand on est à l’étranger de pouvoir profiter d’un réseau wifi gratuit. Mais la réalité est plus nuancée que cela. L’Europe va-t-elle débourser entièrement l’argent que cela va coûter? Ou chaque ville devra-t-elle elle-même mettre la main à la poche? Le coût sera-t-il en partie supporté par des investisseurs privés? Et dans l’affirmative, devrons-nous alors en accepter les messages publicitaires ou les violations du respect de notre vie privée? Sur ce plan, ce sont surtout les opérateurs wifi qui pourront bénéficier des ambitions de Juncker.

Mais même si la sécurité du réseau est parfaite jusque dans les moindres détails, votre place du marché locale sera-t-elle à partir de 2020 l’endroit idéal pour mettre en oeuvre une borne wifi où vous pourrez intercepter comme bon vous semble les mots de passe des passants.

Le wifi gratuit ne signifie pas nécessairement un wifi sûr ou aisément accessible.

Je me demande du reste si ce genre de réseau wifi sera souvent utilisé dans une ville de province. Car quiconque propose internet à grande échelle, fait fonction d’opérateur et doit donc d’abord faire en sorte que ses clients acceptent les règles du jeu. Et ce type de réseau ne peut pas non plus être abusé par des téléchargeurs à grande échelle ou des criminels. Autrement dit: quiconque souhaite utiliser ce réseau, devra d’abord créer un compte ou acquérir un bout de papier avec le code dans un point touristique. Rien d’insurmontable certes, mais le wifi gratuit ne signifie donc pas nécessairement un wifi sûr ou aisément accessible.

Non, monsieur Juncker, occupez-vous à présent plutôt de l’itinérance de données gratuite. Chaque utilisateur possède sa propre connexion sécurisée, il n’y a donc pas besoin de dix mille installations wifi, mais surtout: l’Europe doit enfin tenir une promesse qu’elle a faite il y a dix ans déjà.

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