Crise dans la Silicon Valley: quel impact chez nous?

© Icarus
Frederik Tibau est rédacteur chez Data News.

L’âge d’or des start-up dans la Silicon Valley est révolu. Le nombre de sociétés technologiques largement financées mais qui ne parviennent pas à répondre aux attentes élevées ne cesse de croître, ce qui rend les investisseurs plus prudents et les incite à serrer les cordons de la bourse. Un effet correcteur s’ensuivra-t-il en Europe ?

Voici quelques mois encore, Peter Hinssen aurait vanté les mérites de la start-up américaine Zenefits en la présentant comme le parfait exemple de société technologique californienne capable de bousculer l’un de nos secteurs traditionnels. Zenefits est spécialisée en RH et propose un logiciel convivial en ligne pour la gestion de la paie des entreprises. Depuis son lancement en 2013, la start-up a bénéficié de 580 millions $ de financement, tandis que lors du dernier tour de table de mai 2015, l’entreprise était encore valorisée à 4,5 milliards $.

Mais depuis le début de l’année, les choses tournent moins bien et le cofondateur et CEO Parker Conrad a quitté l’entreprise à la suite de plusieurs scandales. Et peu après, 250 collaborateurs étaient remerciés. Comme Zenefits ne réalise un chiffre d’affaires ‘que’ de 60 millions $ au lieu des 100 millions $ prévus, l’entreprise a franchi la ligne blanche et a commencé à enfreindre la loi. “Nous avons grandi trop rapidement”, concède le nouveau patron, David Sacks, qui a d’emblée revu les ambitions largement à la baisse.

L’euphorie qui régnait ces dernières années dans la Silicon Valley a désormais fait place à des licenciements massifs et à des réductions drastiques de coûts

Reste que Zenefits n’est pas un cas isolé. L’euphorie qui régnait ces dernières années dans la Silicon Valley a désormais fait place à des licenciements massifs et à des réductions drastiques de coûts. Les valorisations sont en berne et les tours de table financiers se révèlent bien plus rares. Les observateurs estiment même qu’une grand part des ‘licornes’ (ces start-up valorisées à plus de 1 milliard $) qui ont vu le jour au cours des dernières années sont appelées à disparaître. Au point que même Dropbox et Evernote, en son temps très populaire, sont en grand danger.

De trop nombreuses jeunes pousses se focalisent sur l’extension de leur base de clientèle plutôt que de s’intéresser à leur cash-flow, leur rentabilité et leur pérennité. Elles ont certes réussi à collecter des sommes astronomiques, mais n’ont pas réussi à répondre aux attentes.

Malaise en Europe

“Le secteur technologique américain, et plus particulièrement les start-up de San Francisco et alentours, est fortement sous pression”, confirme Robin Wauters, spécialiste des start-up sur le site d’actualités Tech.eu. “Les investisseurs prennent désormais des risques plus importants et injectent certes davantage de fonds dans les jeunes entreprises en croissance, mais sont enclins à faire marche arrière en cas de signaux négatifs ou de contre-performances.”

D’ailleurs, ce malaise ne se limite pas à la Silicon Valley. De très nombreux spécialistes considèrent en effet, sur base de différents signes avant-coureurs, que l’Europe risque d’être confrontée aux mêmes problèmes.

C’est ainsi que la firme londonienne Powa Technologies, qui a récolté en 2 ans 175 millions $, est à vendre étant donné qu’elle n’a pas réussi à séduire suffisamment de clients. Et la start-up suédoise Truecaller a été contrainte de licencier 20% de son personnel, malgré un apport de fonds de 80 millions $, alors que Swiftkey a été rachetée par Microsoft pour un montant sensiblement inférieur à ce que les investisseurs avaient prévu.

“Lorsqu’il pleut sur la Silicon Valley, il bruine chez nous, paraphrase Frank Maene du fonds d’investissements Volta Ventures. La crise qui touche la côte Ouest des Etats-Unis se répercutera donc aussi chez nous. Même s’il faut d’emblée préciser que nous n’avons jamais connu les extrêmes types des Etats-Unis.”

“Ces excès étaient surtout le fait des banques et des hedge funds qui ont investi des centaines de millions de dollars dans les start-up. Ce phénomène a été nettement d’une ampleur nettement moindre en Europe, et n’a absolument pas touché le Benelux. Tant les starters que les investisseurs se sont montrés nettement plus raisonnables.”

Pics

“Les pics sont nettement plus élevés aux States, et donc également les baisses, confirme Michel Akkermans, entrepreneur en série (dont Clear2Pay). L’impact sur le marché européen est nettement moindre, même si les entreprises technologiques américaines sont peut-être moins vite tentées d’investir dans des sociétés européennes.”

L’histoire des licornes a été très en vogue un moment, même en Europe, mais entre-temps, on ne rencontre plus aucune entreprise qui recherche ce statut

De même, Wim De Waele, l’ex-patron d’iMinds qui a fondé la plateforme fintech Eggsplore en collaboration avec Jurgen Ingels, estime qu’il a bien moins été question en Europe de ‘surinvestissements’. “J’ai souvent affirmé par le passé que nos investisseurs belges étaient trop conservateurs, mais force est de reconnaître que l’exposition face aux événements actuels aux USA et dans certains pays européen est ainsi minimal. De très nombreuses start-up belge qui ont bénéficié de financement génèrent d’ailleurs déjà pas mal de revenus.”

“La correction qui a lieu aux Etats-Unis était prévisible, ajoute-t-il. A un certain moment, on voyait apparaître près de 2 licornes par semaine dans la Silicon Valley, c’était devenu un véritable jeu. Smartfin Capital, le fonds d’investissement de Jurgen Ingels, a jeté le gant l’année dernière hors Belgique parce que nous sentions que les valorisations étaient exagérées, en raison de la mode des licornes.”

Maene : “L’histoire des licornes a été très en vogue un moment, même en Europe, mais entre-temps, on ne rencontre plus aucune entreprise qui recherche ce statut. Les très grosses opérations portant sur plusieurs centaines de millions de dollars, ne se verront plus guère. Mais pour les deals de plus petite taille, comme ceux qui intéressent Volta Ventures, j’anticipe beaucoup moins de problèmes. Le capital disponible est en effet plus important qu’il y a quelques années.”

Pour sa part également, Michel Akkermans estime qu’il y a suffisamment de capitaux disponibles chez nous pour limiter l’impact du malaise. “En Belgique, l’intérêt pour les start-up n’a jamais été aussi grand. Même s’il y a un léger ralentissement, cet intérêt restera plus important qu’il y a quelques années.”

Conséquences

Reste que personne ne doute que la crise dans la Silicon Valley aura des conséquences sur le paysage technologique européen. “Les valorisations des start-up seront en baisse, même chez nous”, acquisse Akkermans.

“Cela ne signifie pas que les start-up ne pourront plus récolter des fonds, mais que les sommes avancées par les investisseurs seront moins élevées. Ce n’est d’ailleurs pas forcément une mauvaise chose, car les contrats seront ainsi plus simples avec moins de clauses en petits caractères pour les investisseurs qui souhaitent se couvrir.”

“En outre, les attentes seront aussi plus réalistes. Cette sorte de culte des héros que l’on rencontre souvent est pour moi exagérée. Les start-up peuvent certes bénéficier d’une attention particulière, mais il ne faudrait pas oublier qu’il s’agit surtout d’une question de travail et que l’entreprenariat n’est pas à la portée de tous.”

Les start-up ont acheté leur marché avec l’idée que personne ne pourrait les détrôner une fois qu’elles seraient n° 1

A l’instar d’Akkermans, Robin Wauters craint que l’on voit moins les entreprises technologiques américaines en Europe. “Tant que la pression sera forte, le nombre de fusions et acquisitions diminuera sur le Vieux Continent, ce qui par conséquent limitera le nombre de nouveaux business angels et start-up à fort potentiel puisque le nombre d’exits en Europe sera moins élevé.”

Rentabilité

Une autre conséquence est que la rentabilité redeviendra une priorité pour les entreprises, plutôt que de rechercher une croissance agressive et de brûler du capital. Le business model fait-il son grand retour ? “En un sens, oui, répond Frank Maene, et je trouve qu’il s’agit là d’une évolution positive.”

“La position américaine a toujours été ‘The winner takes it all’: un seul Über, un seul AirBnB et investissons au maximum dans ces sociétés afin de s’assurer que la plateforme choisie s’imposera. Les start-up ont acheté leur marché avec l’idée que personne ne pourrait les détrôner une fois qu’elles seraient n° 1. Désormais, il y aura davantage de place pour un n° 2 et un n° 3. Et le n° 1 ne concentrera plus tout l’argent.”

“Outre-Atlantique, on parle de ‘unit economics’, où le coût d’acquisition d’un client, appelé ‘customer acquisition value’ ou CAC, est inférieur, à la valeur que peut générer ce client à long terme ou ‘lifetime value’. Au début, le CAC est forcément supérieur à la valeur à long terme puisqu’il faut établir la société sur le marché et acquérir une notoriété suffisante. Mais si le CAC reste élevé, il faut injecter des fonds importants, ce qui n’est pas bon.”

“Désormais, on va à nouveau s’intéresser à la manière d’attirer des clients. Et ce n’est que lorsque le CAC sera inférieur à la lifetime value que des fonds plus importants seront dégagés.”

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