Le projet de Facebook de regrouper ses services de messagerie provoque une protestation

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Els Bellens

L’autorité allemande en charge de la concurrence s’oppose au projet de Facebook de regrouper les services de messagerie de ses différentes plates-formes. Il s’agit là d’une première tentative de briser un possible monopole de l’entreprise.

Mark Zuckerberg, CEO de Facebook, avait annoncé, il y a deux semaines, qu’il voulait regrouper en une plate-forme unique les services de messagerie d’Instagram, Facebook Messenger et WhatsApp. Côté technique, les applis continueraient certes d’exister telles quelles. Le projet consisterait surtout à remplacer le service de messagerie de chacun des réseaux par une plate-forme unifiée, qui devrait cependant trouver sa place dans le back-end des trois réseaux existants. Après enquête, l’autorité allemande en charge de la concurrence, le Bundeskartellamt, s’y oppose. Cette sentence pourrait rendre illégal pour Facebook le fait de regrouper (du moins en Allemagne) les données des utilisateurs des diverses plates-formes en question.

Facebook avait toujours promis, lors des rachats de WhatsApp et d’Instagram, que les réseaux continueraient de tourner de manière indépendante l’un de l’autre. L’idée de regrouper les services de messagerie pourrait compliquer toute scission de l’entreprise à l’avenir, pour des raisons d’antitrust. Mais ce qui s’avère encore plus important, c’est que le regroupement des données des différents réseaux, en plus de ce que Facebook collecte sur le web en général, pourrait se traduire par une vision nettement plus précise de chaque utilisateur. En connaissant le comportement et les pôles d’intérêt des utilisateurs sur les divers réseaux, le géant technologique pourrait mieux prévoir ce qu’ils ont l’intention de faire et, surtout, sur quelles publicités ils vont cliquer.

Tout cela engendre un important point d’interrogation sur le plan de la confidentialité pour les deux milliards et demi d’utilisateurs des plates-formes en question. Toutes ces données doivent être idéalement stockées de manière sûre, ce qui n’est guère le cas aux yeux de nombreux législateurs sur base de l’historique de Facebook.

Manipulation et GDPR

L’Allemagne est le premier pays à s’opposer au projet de Facebook. Le Bundeskartellamt, l’autorité en charge de la concurrence, déclare dans un communiqué de presse que Facebook abuse de sa position pour réunir les données des utilisateurs des diverses plates-formes. La raison principale évoquée est liée au GDPR européen. Pour respecter cette réglementation, Facebook devrait offrir à ses utilisateurs le choix de permettre ou non que leurs données puissent être regroupées. Or tel n’est pas le cas pour le moment. Le point de vue de Facebook a toujours été le suivant: donner l’autorisation ou résilier le compte. Et ce, même si des non-utilisateurs sont également tracés via leurs clics sur le web.

“Nous nous faisons principalement du souci à propos de la collecte de données en dehors du réseau social de Facebook, ainsi que du regroupement de ces données dans le compte Facebook de l’utilisateur”, déclare le directeur du Bundeskartellamt, Andreas Mundt, à ce sujet. En raison de la sentence rendue par le régulateur, il serait déjà interdit à Facebook de contraindre d’une manière ou d’une autre les utilisateurs en Allemagne de donner leur autorisation en vue d’une collecte quasiment infinie de données non Facebook et de les attribuer ensuite à un compte Facebook.

Monopoles

Mais le Bundeskartellamt est une autorité en charge de la concurrence. Outre la question du respect de la vie privée, l’organisation indique dès lors aussi qu’elle prend cette mesure, parce que Facebook détient une grande partie du paysage des médias sociaux. En Allemagne, où Facebook compte quelque trente millions d’utilisateurs, il est question d’un monopole, selon le raisonnement de l’organisation, et il convient donc de traiter strictement la manière dont Facebook utilise ce monopole pour collecter les données des utilisateurs.

Le fait que l’Allemagne prenne cette initiative, est intéressant en soi. Généralement, le traitement des données est l’affaire des commissions vie privée, mais les règles antitrust exercent probablement un impact plus important. Si Facebook devait être contrainte de stocker dans des silos les données qu’elle collecte sur ses réseaux, et sur le web en général, la puissance de l’entreprise pourrait s’en trouver fortement limitée.

La sentence vient aussi à un moment, où divers législateurs réfléchissent aux manières d’agir des géants technologiques. La scission d’entreprises ou de produits sur base de règles antitrust est l’une des sanctions les plus effectives qu’un pays, ou plus spécialement l’UE, peut infliger. La commissaire européenne en charge de la concurrence, Vestager, s’en tient provisoirement surtout aux (lourdes) amendes, mais l’UE a précédemment déjà contraint des entreprises IT à la scission. C’est ainsi qu’en 2007, Microsoft dut par exemple scinder son Media Player de Windows, alors que deux années plus tard, cette même Microsoft se vit contrainte de proposer d’autres navigateurs par défaut que son Explorer. Ces deux sentences avaient été prises sur base de règles antitrust. L’Allemagne, ce n’est toutefois pas toute l’UE, mais le pays peut très bien ainsi servir d’exemple pour les autres pays, et son argumentation peut être éventuellement aussi être reprise par la Commission européenne.

La décision du Bundeskartellamt sera finalisée d’ici un mois. Facebook dispose de ce délai pour aller en appel. L’entreprise a du reste déjà indiqué que c’est ce qu’elle allait faire. Elle déclare qu’elle doit affronter une forte concurrence sous la forme de Twitter, Snapchat ou YouTube. Selon Facebook, cette affaire devrait du reste être examinée en priorité par l’autorité en charge du respect de la vie privée et non pas par celle en charge de la concurrence.

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